"The New Population Bomb"

Revue "Foreign Affairs" - janvier/février 2010

Résumé de l'article

L’idée phare de cet article est qu’au 21ème siècle, la sécurité internationale dépendra moins du nombre de personnes effectivement présentes sur la planète que de la manière dont cette population mondiale sera composée et distribuée.

Selon Jack A. Goldstone, l’auteur du présent texte, quatre bouleversements historiques vont modifier l’état de la population mondiale au cours des quatre prochaines décennies: le poids démographique des pays développés va reculer de près de 25 pour cent, avec un transfert du pouvoir économique aux nations en développement ; la force de travail des pays développés va considérablement vieillir entravant la croissance économique de ces pays et augmentant la demande des travailleurs immigrés ; la majeure partie de la croissance prévue de la population se fera dans les pays qui sont aujourd’hui les plus pauvres, les plus jeunes et les plus dominés par la religion musulmane et qui manquent de systèmes éducatifs de qualité, de capitaux et d’emplois ; et, pour la première fois dans l'histoire, la plupart de la population mondiale sera urbaine, avec une concentration des centres urbains les plus importants dans les pays les plus pauvres du monde, où les autorités chargées du maintien de l’ordre, les installations sanitaires et les soins de santé font souvent défaut.

Pour désamorcer la nouvelle bombe P, cet article préconise les solutions suivantes:
- Un engagement des gouvernements et des organisations non gouvernementales pour contrôler les taux de reproduction.
- Des avancées agricoles.
- Une forte augmentation des échanges internationaux permettant aux pays en développement d’exporter des denrées alimentaires en échange de semences, d’engrais et de machines les aidant à augmenter leur production.

La solution réside véritablement dans l’adaptation des institutions de gouvernance mondiale.
Il serait nécessaire d'abandonner notre division du monde héritée de la guerre froide (avec un premier monde composé des pays démocratiques industrialisés, un deuxième monde représenté par les pays communistes industrialisés et un troisième monde regroupant les pays en développement). Une meilleure approche serait d’envisager un premier monde avec les pays industrialisés vieillissants (Amérique du Nord, Europe et région Asie-Pacifique), un deuxième monde comprenant les pays à croissance démographique forte et économiquement dynamiques avec un mélange sain de jeunes et de personnes âgées (Brésil, Iran, Mexique, Thaïlande, Turquie, Vietnam et Chine jusqu'en 2030) et enfin un troisième monde à croissance démographique forte, très jeune et s’urbanisant avec des économies plus faibles et souvent aussi des gouvernements plus faibles.
L’idée serait alors que les puissances du premier monde construisent des alliances efficaces avec les puissances croissantes du deuxième monde (qui occuperont une place centrale au cours du 21ème siècle) et qu’ensemble, ils tendent la main aux pays du troisième monde.

L'admission de la Turquie dans l'Union européenne serait aussi une bonne chose puisque cela permettrait d'améliorer les relations entre les sociétés musulmanes et occidentales.
Il faudrait également réformer l'OTAN, presque exclusivement composé à l'heure actuelle de pays vieillissants (en y intégrant par exemple des pays comme le Brésil et le Maroc).
Les pays industrialisés vieillissants devraient par ailleurs encourager leurs familles à avoir plus d'enfants.
Enfin, la dernière solution apportée par cet article, pour répondre à la nouvelle donne démographique, serait d'améliorer la gestion de l'immigration qui peut être bénéfique pour les pays développés, comme pour ceux en développement.
Pour les pays développés, il y a le gain économique résultant du travail d'immigrés volontaires. Pour les pays en développement, l’avantage résulte du fait que les travailleurs immigrés envoient souvent de l’argent chez eux et reviennent dans leur pays natal avec une éducation précieuse et une expérience professionnelle.
Une approche un peu audacieuse de l'immigration serait également d’encourager un flux inverse avec une immigration des personnes âgées des pays développées vers les pays en voie de développement. Cela permettrait de réduire la pression exercée sur les systèmes de retraite de leur pays. Cette relocalisation d'une partie des activités liées à l'accompagnement de ces personnes âgées (soins, services de loisirs) devrait fournir de l'emploi et des formations précieuses pour la population jeune et croissante des pays du deuxième et du troisième monde. Cela serait également préférable à la situation actuelle dans laquelle de nombreux habitants des pays développés, désireux de payer moins cher des actes médicaux, pratiquent le tourisme médical (l'Inde, Singapour et la Thaïlande étant les destinations les plus courantes).

Notre analyse critique

La nouvelle bombe population se réduirait, selon son auteur, à un déséquilibre démographique Nord/Sud à l'avantage du second, sans prise en compte du nombre excessif d'humains présents sur la Terre. L’accent est mis sur l’analyse des effectifs relatifs de chaque pays et des problèmes de répartition, et le risque de surpopulation planétaire est en réalité totalement occulté. Cette démarche pourra séduire certains lecteurs car elle leur semblera à la fois plus raisonnable et plus subtile qu’une approche globale.

Et pourtant, que de manques dans cette vision des choses !
Des manques, ou plutôt un seul oubli, mais de taille : les réalités physiques du monde.
L’auteur omet de rappeler qu’au cours des différents phénomènes de croissance qu’il décrit, notre planète n’a pas gagné un seul mètre carré et que les terres disponibles se sont à la fois réduites et dégradées, que la biodiversité s’est effondrée et que les réserves d’énergies fossiles ont été plus que largement entamées.
Comment peut-on évoquer l’avenir sans intégrer ces paramètres fondamentaux au cœur de la réflexion? Comment peut-on envisager la croissance pour les pays du Tiers Monde sans rappeler que dans les pays occidentaux cette formidable expansion économique a été le fruit de l’utilisation massive d’énergies fossiles ? Or, l’épuisement de ces dernières ne permettra plus à de nouvelles nations de rejouer à leur profit le scénario qu’ont connu l’Europe de l'ouest, le Japon et l’Amérique du Nord.

Certaines des solutions proposées semblent également curieuses. Rétablir l’équilibre démographique en relançant la natalité dans les pays occidentaux (Russie comprise) est une solution qui (du fait de l’empreinte écologique excessive de ces pays) va dans le mauvais sens au niveau de l’environnement et qui, de toute façon, ne changera rien au rapport de force démographique.
En effet, les indiens, les chinois ou le monde musulman seront toujours chacun un milliard de plus que les États-Unis, l’Europe occidentale ou la Russie. Que nous soyons en France 60 ou 80 millions ne changera rien au fait que démographiquement nous seront largement minoritaires. A quoi bon perturber l’équilibre écologique de notre pays pour représenter 1 % du monde plutôt que 0,8 % ?
Ce n’est donc pas la bonne voie. A l’inverse, tenter de réduire démocratiquement la natalité dans les régions à forte expansion démographique serait de ce point de vue moins coûteux, nettement plus productif et beaucoup plus sage pour tout le monde. Rappelons que la surpopulation n’est pas seulement une conséquence du sous-développement mais en est bien souvent une cause et parfois la première.

Quant à la vision quelque peu idyllique des mouvements migratoires ici présentée, elle paraît peu crédible. C’est une souffrance pour un émigrant de quitter son pays et il y a une grande difficulté à s’intégrer dans une nouvelle culture. On sait d’autre part que des arrivées excessives sont souvent mal vécues par les populations des pays d'accueil. De toute façon le rapport démographique est tel que c’est une solution forcément marginale.
N’oublions pas non plus que la jeunesse tant vantée de certains pays du Tiers Monde sera dans 50 ans un fardeau terrible, car tous ces jeunes seront devenus des personnes âgées. Il serait préférable d’arrêter dès aujourd’hui cette course folle qui consiste à considérer que seules des générations plus nombreuses que les précédentes peuvent assurer l’équilibre de la société.
« Voici venu le temps du monde fini » dit Albert Jacquard en titre d’un de ses ouvrages, il faut aujourd’hui en tirer les conséquences.

Enfin une des suggestions économiques paraît également discutable : celle qui consisterait à favoriser l’accroissement des échanges. C’est évidemment un grand classiques du discours dominant, mais cela fait un siècle que nous les accroissons et que le commerce mondial explose couvrant les mers de navires et les routes de camions au grand dam des équilibres énergétiques, écologiques et même sociaux, puisque certains pays deviennent les usines du monde tandis que dans d’autres, pourtant consommateurs, c’est le chômage qui sévit. La relocalisation au contraire permettrait de meilleurs équilibres. Certains produits seraient sans doute plus chers à produire dans les pays occidentaux mais ce serait probablement et de loin, un moindre mal.

Commentaires archivés

#3 Le prix à payer des délocalisations. — 06-02-2010 11:36

Bravo pour cette analyse critique d'une logique incontestable que je partage totalement. J'ai particulièremen t apprécié la pertinence de le dernière phrase disant qu'une fabrication locale serait plus chère à produire, mais que ce serait un moindre mal par rapport à tous ces produits importés et vendus à bas prix qui ont supprimé de nombreux emplois en Europe occidentale, notamment. Les patrons nous ont incité à acheter moins cher en délocalisant, mais nous le payons au prix fort par ce chômage dramatique qui n'en finira pas !

#2 immigration des personnes âgées — 25-01-2010 21:20

Le meilleur de cet article est à la fin, dans la proposition de se débarrasser des personnes âgées en les envoyant dans les pays pauvres. Économiquement cela pourrait se justifier, mais seulement si ces personnes étaient de purs objets économiques. L'auteur oublie simplement qu'il a affaire à des personnes, qui ont de la famille, des amis, des habitudes, des désirs, des droits. Et je ne vois pas comment cela pourrait réduire les charges du système de retraite : en tant que retraitée, si je choisis de passer ma retraite au Maroc (certains le font volontairement, pourquoi pas si c'est leur choix) je garde mes droits à ma retraite qui reste inchangée. Cela n'allègera en rien la caisse de retraite.

#1 bravo — 25-01-2010 10:55

BRAVO POUR VOTRE COMMENTAIRE!

AH! SI LES POLITICIENS POUVAIENT ETRE AUSSI LUCIDES!