« Le risque de surpopulation mondiale reste réel »
Article du journal Le Monde, paru dans son édition du 15/02/2011
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Le spectre de la "bombe démographique" plane-t-il à nouveau sur la planète ? Une étude du Conseil économique et social des Nations unies, publiée début février, met clairement en garde : sans un effort considérable pour abaisser le nombre de naissances, le scénario optimiste d'une population mondiale culminant à 9 milliards d'individus vers 2050 pour décliner ensuite pourrait être illusoire. Cette hypothèse rassurante, correspondant à un scénario "moyen" de croissance de la population selon les Nations unies, s'est largement imposée ces dernières années, apaisant les craintes d'une planète étouffée par la surpopulation. Au point de faire oublier qu'elle ne se réaliserait pas d'elle-même, redoute l'ONU.

« La réduction continue de la fécondité dans les pays en développement est considérée comme acquise, de nombreux décideurs sont convaincus que la démographie n'est plus un sujet de préoccupation, observe le démographe Thomas Buettner, de la division de la population de l'ONU. Pourtant la population mondiale pourrait se révéler bien plus nombreuse que prévu ». Le moindre relâchement dans la baisse du taux de fécondité aura des conséquences explosives, prévient l'ONU dans ce rapport. Il suffirait que la fécondité reste un demi-point au-dessus de celle prévue dans le scénario moyen jusqu'en 2050 pour que la population mondiale atteigne non plus 9 mais 10,5 milliards. Si, ensuite, cette fécondité restait seulement un quart de point au-dessus de l'hypothèse moyenne, le monde compterait 14 milliards d'individus en 2100.

Destruction de l'environnement, urbanisation anarchique, tension extrême sur les ressources naturelles, l'alimentation, l'eau... les cauchemars associés à un tel peuplement ne manquent pas. « Il est parfaitement possible de nourrir 9 milliards d'hommes. Au-delà, ça devient très compliqué » estime le démographe Henri Leridon, qui achève une étude sur ce thème pour l'Académie des sciences.

Pour M. Leridon, ces projections à très long terme ont toutefois un intérêt limité : « Le moindre écart aboutit soit à l'explosion, soit à l'extinction. Plutôt que de nous faire peur, les Nations unies devraient nous dire, pays par pays, si l'on est en ligne avec la trajectoire des 9 milliards ». Sur ce point, le rapport de l'ONU laisse peu de place à l'optimisme : « Même dans les pays où la fécondité a déjà décliné notablement, des réductions supplémentaires sont nécessaires pour éviter des fortes augmentations de populations sur le long terme.»

Mauvaise nouvelle : abaisser le taux de fécondité au seuil de remplacement de la population (2,1 enfants par femme dans les pays développés et 2,5 dans les pays où la mortalité est plus élevée) ne suffira pas. Même dans le cas - peu plausible - où chaque pays atteindrait le niveau de remplacement d'ici à 2015 pour s'y maintenir ensuite, la population mondiale continuerait à grimper à 9,1 milliards en 2050 puis à 9,9 milliards en 2100. « La croissance démographique a une forte inertie : c'est comme un supertanker qui continue d'avancer bien après qu'on a coupé les machines », explique M. Buettner.

Selon l'ONU, pour garantir un niveau soutenable de population, tous les pays doivent au plus vite tomber à un taux de fécondité de 1,85 et s'y maintenir pendant un siècle avant de revenir au seuil de remplacement. Ce schéma correspond peu ou prou à l'évolution suivie par les pays occidentaux. Il semble pourtant bien ambitieux.

« Rien ne garantit que l'amélioration de la planification familiale dans les pays en développement se poursuive ; dans certains pays, elle est en recul » regrette M. Buettner. Le taux de fécondité des pays les moins avancés reste en moyenne de 4,29. Une douzaine de pays, la plupart en Afrique, n'ont pas encore amorcé leur transition démographique. « L'Asie et l'Amérique latine ont réduit leur natalité bien plus vite que ne le pensaient les démographes » rappelle Gilles Pison, directeur de recherche à l'Institut national d'études démographiques. L'Afrique réserve-t-elle la même surprise ?

La question est sensible, brouillée par la crainte du contrôle des naissances. « Il s'agit uniquement d'offrir un libre choix aux individus, précise Yves Bergevin, coordonnateur pour la santé maternelle et reproductive au Fonds des Nations unies pour la population. En offrant l'accès à des services de planification familiale, une meilleure éducation et une reconnaissance des droits des femmes, on peut accomplir des progrès immenses en seulement dix ou vingt ans.»

On en est loin. Dans quarante pays, près d'un quart des femmes ne peuvent satisfaire leurs besoins de planification familiale. Dans les pays les moins avancés d'Afrique, l'emploi de méthodes modernes de contraception plafonne à 12 %. « L'offre de contraception est insuffisante, mal organisée, les responsables locaux chargés d'appliquer ces programmes ne sont eux-mêmes pas toujours convaincus de leur bien-fondé », constate M. Pison.

Surtout, les moyens manquent. En dix ans, l'aide en faveur de la planification familiale a chuté de moitié dans les pays les plus pauvres. L'ONU appelle à relancer d'urgence ces programmes, avec un dernier argument, financier cette fois : en évitant des naissances, chaque dollar investi dans la planification familiale ferait économiser de 2 à 6 dollars en dépenses de santé, d'éducation ou d'environnement.
Grégoire Allix
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A l'été 2011, il y aura 7 milliards d'humains. Quelque part sur la planète, vers la fin du mois d'août, une naissance anonyme fera franchir à l'humanité le cap des 7 milliards d'individus. Pour l'heure, nous sommes, selon les décomptes, entre 6,8 et 6,9 milliards. Un siècle plus tôt, la Terre ne comptait que 1,75 milliard d'habitants.
Cette croissance s'accélère. Alors qu'il a fallu attendre 1800 pour atteindre le premier milliard d'habitants, puis 130 ans de plus pour arriver à 2 milliards, ce septième milliard aura été atteint en seulement douze ans.
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