WWF F

 

Retour sur le "Jour du dépassement" de la France en 2022

 

Selon les termes du WWF France : « le Jour du dépassement de la France indique une date de l’année à partir de laquelle la population mondiale, si elle consommait comme les français, aurait utilisé l’ensemble des ressources que la planète est en capacité de lui fournir en un an.»

Pour la bonne compréhension de ce qui va suivre, précisons tout d’abord que l’empreinte écologique est : la surface nécessaire pour produire les ressources que l’on consomme et pour absorber les déchets que l’on génère. Quant à la biocapacité, elle désigne la capacité d’une zone donnée à produire une offre continue en ressources renouvelables et à absorber les déchets découlant de leur consommation. En synthétisant, on peut identifier ces indicateurs écologiques, dans l’ordre, à un débit et à un crédit. Et assez logiquement, les empreintes et biocapacités individuelles, sont les empreintes et biocapacités globales (de la Terre ou d'un pays) divisées par le nombre de personnes qui y habitent.

Comme nous allons le voir dans cet article, même si la situation écologique de la France, comme celle de la plupart des pays occidentaux, est franchement mauvaise et qu’il faut absolument y remédier en baissant, entre autres, notre empreinte carbone, le calcul utilisé par le WWF pour déterminer le Jour du dépassement de la France, ainsi que les analyses qu’il en déduit peuvent être sujet à débat.

 

DEUX APPROCHES DIFFERENTES

 

Voici tout d’abord un tableau, avec les chiffres qui vont nous servir.

WWF A Tabeau sans hag

*hag (hectares globaux)

a) On y trouve les empreintes et les biocapacités (individuelles), de la France et de la planète, à deux dates différentes éloignées d’une soixantaine d’années. On y remarque que la France a, aux deux dates, une empreinte bien supérieure à sa biocapacité, ce qui est évidemment une mauvaise chose sur le plan écologique. Concernant maintenant la planète, si son empreinte était inférieure à sa biocapacité en 1960, la situation s’est inversée et la Terre se trouve aujourd’hui elle aussi "dans le rouge". A partir des données précédentes, issues du Global Footprint Network (GFN), pour obtenir le jour du dépassement de la France, le principe du calcul prôné par le GFN et le WWF est le suivant :

On divise la biocapacité de la planète en 2022 (1,6), par l’empreinte de la France pour cette même année (4,4) et on multiplie ensuite le résultat obtenu par le nombre de jours dans l’année (365) pour aboutir à 131. Le 131ème jour de l’année tombe le 11 mai (31 + 28 + 31 + 30 + 11).

Il faut savoir que ce résultat diffère légèrement du jour donné pour notre dépassement par le WWF à savoir le 5 mai, donc un peu plus tôt. Cette petite différence s'explique par le fait que les jours du dépassement sont déterminés avec un décalage de 4 ans (en 2022 on se base sur les données de 2018). Mais pour la France en particulier, le GFN a travaillé avec le WWF afin de prendre en compte des estimations plus récentes (processus dit du now-casting) et qui n’apparaissent donc pas dans les données statistiques à la disposition du public. D'ailleurs, dans l'échéancier ci-dessous la France apparait en bleu avec un astérisque.

Ceci étant, en laissant de côté cet aspect de technique de calcul, il y a des considérations plus importantes qui posent question.

b) D’une part, de notre point de vue, le jour du dépassement de notre pays pourrait (devrait même) être calculé en divisant la biocapacité de la France (2,4) par son empreinte (4,4) ce qui conduirait à peu près au 201ème jour de l'année, soit le 20 juillet (31 + 28 + 31 + 30 + 31 + 30 + 20) et donc plus tard dans l’année. En effet, c’est à partir de juillet seulement que la France dépasse l’utilisation de ses ressources propres.

Au passage, remarquons que ce "recul" du jour du dépassement (de mai à juillet) avec notre mode de calcul ne doit pas nous étonner. En effet, au lieu de prendre la biocapacité de la planète (1,6 ha) on a utilisé celle de la France (2,4 ha) qui lui est supérieure et ce du fait que notre pays est situé en zone tempérée et ne possède pas de parties désertiques improductives.

 

LES ANALYSES QUI EN DECOULENT

 

1) Le premier argument qui vient à l’esprit en faveur de ce second mode de calcul, est que le jour du dépassement de la planète utilisé par les GFN et le WWF depuis de nombreuses années et popularisé par les médias se détermine, quant à lui, à partir de sa propre biocapacité et de sa propre empreinte. Et donc le Jour du dépassement de surfaces ou régions plus petites (à savoir les différents pays qui se trouvent sur Terre) ne devrait sans doute pas être calculé différemment, c’est-à-dire comme on l’a vu, en mettant en rapport la biocapacité de la planète et l’empreinte du pays.

En fait, le choix du premier mode de calcul, ignore le potentiel écologique naturel des territoires, les bonifications (ou détériorations) que leurs habitants y ont apportées ainsi (et peut-être surtout) que les quantités de population qui s’y trouvent. Les deux premiers éléments cités traduisant la biocapacité globale d’un pays et le troisième conduisant à sa biocapacité individuelle.

Précisons que si ce type de calcul avait été retenu, on dirait alors qu'à partir de cette date précise, le pays a utilisé toutes les ressources renouvelables que son territoire produit en une année, alors que dans le 1er cas (celui retenu "officiellement") on considère qu'à partir du Jour du dépassement le pays a utilisé toutes les ressources renouvelables qu'il est en droit de prélever sur la planète... ou encore que si tout le monde vivait comme ce pays, le Jour du dépassement de la planète arriverait ce jour là (en anglais ci-dessous).

 

Overshoot day

 On peut avoir accès à l'ensemble de l'échéancier en cliquant dessus

 

2) Une justification supplémentaire de ce second mode de calcul, est que le premier conduit à certaines aberrations. Par exemple, dans l'infographie ci-dessus publiée par le GFN et qui donne la date du jour du dépassement pour un certain nombre pays, on voit que le Canada fait presque office de "cancre" puisqu’il "dépasse" en mars c’est-à-dire très tôt dans l’année. Or, vu son immensité et sa faible population, ce pays produit plus de renouvelable qu'il n’en consomme en une année (biocapacité individuelle de 16,2 ha, versus empreinte individuelle de 8,8 ha). Il est donc un des rares pays qui, par exemple, recyclent une partie du CO2 émis dans le monde. Cette constatation n’a cependant pas pour but de vouloir minimiser le fait que l’empreinte individuelle de nos amis canadiens est excessive ni de relativiser les efforts nécessaires pour qu’ils la fassent baisser.

Maintenant, à l’autre bout de cet échéancier figure le cas de la Jamaïque qui fait quasiment office de "meilleur élève", puisque son dépassement arrive presque en fin d’année, mais qui a pourtant une empreinte presque quatre fois supérieure à sa propre biocapacité (1,63 ha contre 0,42 ha) … et complète la différence grâce à la productivité du reste de la planète. Un autre exemple d'absurdité est analysé en annexe.

 

3) Beaucoup plus problématique maintenant : sans que l’on s’en rende compte, le premier mode de calcul élude la question démographique.

WWF C Globaux bis

Rapport Planète Vivante du WWF de 2014 page 56, accessible en cliquant sur l'image

 

On remarque en effet sur le graphique ci-dessus que la biocapacité globale de la planète n’augmente que faiblement d’années en années. Or, en raison de l'augmentation continue de la population mondiale, la biocapacité dévolue à un terrien (ou biocapacité individuelle de la planète) qui, comme on l'a vu, est le rapport entre la biocapacité globale de la Terre et le nombre de ses habitants diminue inexorablement au fil du temps, comme on le voit ci-dessous.

 

WWF D Individuel

Rapport Planète Vivante du WWF de 2014 page 57, accessible en cliquant sur l'image

 

4) Concentrons-nous maintenant, sur un paragraphe de l’éditorial de Madame Isabelle Autissier (présidente d’honneur du WWF) situé en page 4 du rapport publié le 5 mai 2022 (à l’occasion donc du Jour du dépassement de la France)

« Ce dépassement n’est malheureusement pas nouveau. Mais il s’aggrave depuis des décennies. Le Jour du dépassement de la France arrive en 2022 presque 5 mois plus tôt dans l’année qu’au début des années 1960. Non seulement la France n’est jamais parvenue à l’équilibre qui lui permettrait de contenir son empreinte écologique à hauteur de la biocapacité de la planète, mais elle a creusé depuis 60 ans l’écart qui la sépare de cet équilibre écologique.» 

Or, voyons ce qu’il en est (tout en se conformant au premier type de calcul). En utilisant la biocapacité individuelle de la planète en 1960 (3,2) et l’empreinte individuelle de la France cette même année (4,7), le Jour du dépassement de la France en 1960 tombait donc le 248ème jour, soit le 5 septembre (248 = 31 + 28 + 31 + 30 + 31 + 30 + 31 + 31 + 5).

On remarque que l’écart dont il est question dans l’éditorial précité et donc ce dépassement de la France qui arrive beaucoup plus tôt aujourd’hui, puisqu’on passe de septembre à mai, eh bien cet écart est uniquement dû à la baisse de la biocapacité individuelle de la planète (qui a été divisée par deux de 1960 à aujourd’hui, passant de 3,2 à 1,6) et non à l’empreinte individuelle de la France … qui a d’ailleurs diminuée (passant de 4,7 à 4,4).

 

WWF E Dlais

 

Et donc, si la France n’a pu « contenir son empreinte écologique à hauteur de la biocapacité de la planète », ou encore si « depuis qu'il est mesuré, le Jour du dépassement de la France a avancé de 5 mois dans l'année » (rapport WWF page 20), c’est uniquement dû au fait que la population mondiale a explosé, passant de 3 milliards en 1960 à près de 8 milliards aujourd’hui et qu’elle a ainsi fait diminuer drastiquement la biocapacité individuelle de la planète.

On comprend ainsi que plus la Terre sera peuplée, plus sa biocapacité individuelle sera basse et plus il sera difficile pour un pays d’équilibrer son empreinte et sa biocapacité. A la limite, un pays en équilibre, avec par exemple une population et une empreinte stable, finira par être en déficit du seul fait de l’augmentation du reste de la population mondiale.

Précisons néanmoins que ça n’est pas le cas de la France qui est loin d’être à l’équilibre, que ce soit avec elle-même ou avec la moyenne planétaire.

 

CONCLUSIONS

 

On a donc ainsi montré que les efforts à fournir en termes de baisse de la consommation et autres (et auxquels nous souscrivons comme précisé au début de cet article) sont en partie dus à la croissance démographique mondiale. Or, quand on sait que celle-ci devrait encore apporter 3 milliards d’humains supplémentaires sur la planète, on ne peut qu’être dubitatif sur notre capacité à parvenir à l’équilibre.

Pour terminer, il est fort dommage qu’une partie du milieu écologiste continue à passer sous silence l’impact réel de l’explosion démographique sur la dégradation des indicateurs écologiques qu’ils utilisent eux-mêmes par ailleurs et donc in fine sur une des causes importantes des maux environnementaux qu’ils reflètent. Si nous voulons réellement faire baisser les indicateurs, et donc cesser de détériorer notre environnement, nous devons faire en sorte de stopper l’explosion démographique mondiale.

Il va sans dire que malgré les critiques apportées dans cette présentation, nous rendons néanmoins hommage au travail effectué par le GFN et le WWF.

 

Denis Garnier (président de Démographie Responsable)

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Annexe : comparaison Egypte Colombie

 

Les Jours du dépassement de ces deux pays interviennent à des dates très proches : 8 novembre pour la Colombie et 11 novembre pour l’Egypte (voir plus haut). La Colombie est donc la plus mal classée puisque son Jour du dépassement arrive avant. Et c’est aussi ce que l’on voit sur le tableau qui détaille les calculs qui vont servir pour ce qui suit. On remarquera que pour bien faire apparaitre la différence, on est parfois allé jusqu'au millième.

 

Egypte et Colombie

 

Laissons de côté le fait que la Colombie est très loin d’être déficitaire, puisque sa biocapacité (3,439 ha) est presque égale au double de son empreinte (1,857 ha) et partons donc du principe prôné par le GFN et le WWF, à savoir que sa propre biocapacité ne lui appartient pas et fait donc partie du domaine commun. Regardons alors ce qu’elle prend au-delà de la biocapacité individuelle de la planète (ligne G) on voit que c’est 0,274 ha par personne alors que l’Egypte ne prend que 0,257 ha, soit une très faible différence (0,017 ha) mais qui explique que cette dernière soit mieux classée dans l'échéancier.

Tout ceci est boulversé si on fait maintenant entrer en jeu la démographie de chacun de ces 2 pays, car du fait que l’Egypte a une population quasiment égale au double de celle de la Colombie, la faible différence citée plus haut (0,017) ne fait pas le poids face à la différence importante du nombre d'habitants dans les deux pays. Finalement, en millions d’hectares, l’Egypte prélève quasiment le double de superficie sur la biocapacité de la planète (25,29 millions d'hectares contre 13,62).

On aboutit à une nouvelle absurdité, liée ici à la non prise en compte du pouvoir multiplicateur de la démographie quand on adopte le principe de calcul des deux organisations.