Démographie et écologie

S’il est un sujet dont on ne parle plus guère, noyé sous la déferlante des politiques natalistes, du faux consensus populaire, voire de l’indifférence ou du refus de considérer un problème qui touche autant à la religion qu’à la philosophie, ou bien même encore à l’égoïsme individuel, c’est bien celui de la démographie… « Mais de quoi nous parle-t-il ?? J’ai bien le droit d'avoir autant d’enfants que je veux : c’est ma liberté ; de toutes les manières, cela ne concerne que les pays en voie de développement ; s’il dit qu’il y a trop de monde sur Terre, c’est qu’il n’aime pas les hommes ». Etc., etc.

Et pourtant ! Grenelle de l’environnement ou pas, prise de conscience générale ou pas, économies d’énergies ou pas , écohabitat ou pas, tout, absolument toutes les questions d’écologie, d’environnement, se ramènent à une seule, obsédante, difficile problématique: la terre est d’une superficie finie ; les ressources ont une fin ; l’expansion de l’espèce humaine , vertigineuse, ne peut pas, indéfiniment, continuer. Vouloir le taire, se cacher la face, ne peut qu’un jour nous amener devant de terrifiantes situations de crise.

Méditons ces chiffres :

1500 : 500 millions de terriens

1800 : 1 milliard de terriens

2000 : 6 milliards de terriens

2007 : 6,5 milliards…

2050 : 9 ? 10 milliards ?? 12 ?? 15 ??

Parallèlement, sur les 1,5 millions d’autres espèces décrites, des milliers disparaissent chaque année : les écologues parlent de la 6ème extinction, avec une vitesse de disparition des taxons de 100 à 1000 fois supérieure à la vitesse « normale », évolutive… Il y aurait sur Terre peut-être 10 ou 15 millions d’espèces restant à découvrir…. En aura-t-on le temps ?? Rien n’est moins sûr: plus de 16 000 espèces connues sont en danger d’extinction, un mammifère sur trois, un oiseau sur huit, 70% des plantes également. Et les chiffres vont tous dans le même sens, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature.

Ne vouloir parler d’environnement et d’écologie en ne prenant en compte que la seule espèce humaine, fût-elle, bien entendu, essentielle (!) est une erreur et écologique, et philosophique : car quelle place sommes-nous prêts à laisser aux espèces animales et végétales ? Quels espaces laissés libres, pourtant si nécessaires aux respirations de nos âmes oppressées par la technocratie, le bruit, la foule ?? Parler de sauvegarder la biodiversité, c’est bien, d’accord, bravo ! Mais , concrètement ? Sur quelles terres, quels espaces protégés, parcs, réserves, refuges (?) qui ne soient considérés comme superflus, perdus, pour « nous » ?? Quelle place pour l’espace libre, pour l’animal sauvage, la fleur ou le papillon ??

Les bonnes âmes, démographes officiels et autres représentants de l’industrie, des capitaux, de l’économie, de la politique, qui n’ont toujours pas compris que leur sacro-sainte « croissance » est en train de détruire la planète, se veulent rassurants : « Mais voyons, la croissance de la population mondiale diminue, nous ne serons ( sont-ils des devins ??) que 9 milliards en 2050… »

Que ? C'est-à-dire dans le meilleur des cas, 2 ou 3 milliards de plus ?? Avec quelles conséquences lorsque l’on connaît les problèmes actuels de pénurie d’eau, de conflits ethniques, de concurrence acharnée pour exploiter les ressources naturelles subsistantes, donc de répartition des richesses ???

Quand bien même : soyons irréalistes, rêvons : Imaginons… Imaginons un monde où tous, sur cette terre limitée, aurions de quoi nous nourrir, nous habiller, nous loger, et travailler de quelque manière que ce soit. Imaginons ce monde égalitaire, donc utopique, et pourtant si souhaitable. Imaginons.

Nous sommes des hommes. Une espèce qui se définit forcément par rapport à quelque chose d’autre qu’elle même et donc, très notoirement, à la nature.

Imaginons, alors : un monde d’où toute nature aurait disparu. Un monde sans l’indicible beauté de la fleur et de l’animal sauvage, la magie des paysages vierges, le chant de l’océan et la caresse des vents libres. Un monde vide, et plein d’hommes. Serait-il vivable, psychologiquement ??


Oui, cette question est dérangeante, les incompréhensions nombreuses. Raisons de plus pour ne plus la taire. Robert Hainard, dans son livre « Expansion et nature » (le courrier du livre), en examine fort bien les attendus ; le livre de Paul Erlich, (La Bombe P) n’est pas à jeter au panier, quoi qu’en disent certains, même s’il date.

Relisons donc aussi certains textes amérindiens :

« Il n’y a pas d’endroit paisible dans les villes de l’homme blanc. Pas d’endroit pour entendre les feuilles se dérouler au printemps ou le froissement d’aile d’un insecte. Mais peut-être est-ce parce que je suis sauvage et je ne comprends pas.

Le vacarme semble seulement insulter les oreilles. Quel intérêt y-a-t-il à vivre si l’homme ne peut entendre le cri solitaire de l’engoulevent ou les palabres des grenouilles autour d’un étang la nuit ? Je suis un homme rouge et je ne comprends pas. » (Chef Seatlle)

Ou encore ceci :

« Chaque graine s’éveille et de même chaque animal prend vie. C’est à ce mystérieux pouvoir que nous devons nous aussi notre existence ; c’est pourquoi nous concédons à nos voisins, même à nos voisins animaux, le même droit qu’à nous d’habiter cette terre.

Pourtant, écoutez-moi, vous tous, nous avons maintenant affaire à une autre race, petite et faible quand nos pères l’on rencontrée pour la première fois, mais aujourd’hui grande et arrogante… l’amour de posséder est chez eux une maladie…ils revendiquent notre mère à tous, la Terre, pour leur propres usages et se barricadent contre leurs voisins ; ils la défigurent avec leurs constructions et leurs ordures. Cette nation est pareille à un torrent de neige fondue qui sort de son lit et détruit tout sur son passage. » (Sitting Bull)…

Sauvages, dites-vous ?? Vaines réminiscences du passé ??

On va me dire : « Ah, encore un qui ne vit pas dans son siècle… ». Eh bien si, justement. On me dira : « Ah, encore un poète...». Oui, merci, c’est un compliment : sauriez vous vivre sans poésie, sans musique, tant celle venant de l’esprit humain que de la nature ?? Peut-être... Hélas...

Mais n’oubliez pas que nous sommes liés à cette Terre, et que nous en sommes responsables. Oui, la population humaine doit un jour s’arrêter de croître ; dans les pays dits développés comme dans les autres, l’empreinte écologique est là pour relativiser les différences numériques entre pays.

Être moins pour être mieux, c’est là humilité, humanisme, respect, réalisme. Utopie, dans le vrai sens du terme.

Alain Persuy, écologue

Auteur de « La forêt naturelle » et de « Le coteau calcaire », chez Belin/Eveil nature