CO2 et Démographie

 

On entend régulièrement dire que la croissance démographique ne joue aucun rôle dans l’augmentation des émissions de CO2, ou bien seulement un rôle mineur, et que ce sont essentiellement les pays développés, qui du fait de leur consommation, sont responsables des émissions.

Afin de vérifier (ou de relativiser) ce discours on va rechercher l’impact de l’augmentation de la population sur les émissions de CO2 actuelles. La période choisie va aller de 1950 à aujourd’hui (2022). Pourquoi 1950 ? Tout d'abord car l'ONU ne fait démarrer son comptage précis de la population, pays par pays, qu'à cette date. Ensuite, parce que c’est juste dans l’après guerre qu’il aurait fallu se poser la question de la croissance démographique mondiale car nous étions encore seulement 2,5 milliards, et que compte tenu de l’inertie des phénomènes démographiques, en s’y prenant à ce moment là, la population aurait certes continué à augmenter, mais on se serait peut-être stabilisé entre 3 et 4 milliards, ce qui correspond à l'intervalle de population soutenable. Et enfin parce qu’un certain nombre d’entre nous sont nés aux alentours de cette date et ça n’est donc pas si éloigné que cela.

Signalons tout de suite que, puisque l'on va travailler pays par pays, on va passer des émissions aux empreintes (1). Ainsi, l'empreinte carbone d'un pays correspond aux émissions carbone internes du pays PLUS les émissions carbone générées lors de la fabrication des produits qu'il importe MOINS les émissions carbone générées lors de la fabrication des produits qu'il exporte. Il s'agit donc de tout ce qui est réellement consommé par le pays. Et c'est donc une façon assez “juste” de mesurer l'impact carbone réel d'une population.

Pour ce calcul, on a utilisé un feuille Excel (2), dont une copie se trouve en bas de l'article et dont le principe est le suivant.

 Table

Rouge article marge

On calcule, pays par pays, la croissance de la population de 1950 à nos jours, que l'on multiplie ensuite par l'empreinte carbone individuelle actuelle du pays pour obtenir donc l'empreinte actuelle du pays restreinte à cette augmentation de sa population. Attention, il ne s'agit évidemment pas de l'empreinte globale du pays ! En faisant la somme de la dernière colonne, on obtient alors l'empreinte mondiale actuelle liée à la seule augmentation de la population depuis 1950. L'addition donne 7,5 milliards d'hectares, que l'on compare alors à l'empreinte globale de l'humanité qui est de 13,5 milliards d'ha [empreinte moyenne individuelle d'un terrien (1,69 ha) x nombre de terriens (8 milliards)].

La part de l'augmentation de la population depuis 1950 dans les émissions d'aujourd'hui est donc de 55% (7,5 / 13,5).

Précisons maintenant plusieurs choses :

a) Si on a utilisé des empreintes carbone en hectares globaux (hag), une unité "moyenne" qui permet d'équilibrer les différences de fertilité des terres, c'est parce qu'on ne dispose des empreintes en tonnes que pour un nombre très restreint de pays (3). Les empreintes carbone en hectares (ha en s'affranchissant du "g") sont fournies par le réseau empreinte globale (Global Footprint Network). Pour faire simple, on considère que la captation naturelle de CO2 par un hectare de forêts permet de compenser une empreinte de 1 ha.

b) Quand on parle de croissance de la population, cela provient du différentiel naissances moins décès et donc aussi de l’allongement de la durée de la vie. Au niveau mondial, on peut estimer qu’au moins 20% de la croissance démographique est due au fait que l’on vit plus âgé en 2020 par rapport à 1950. Et donc, si on avait voulu ne pas augmenter la population, l’effort sur la limitation des naissances aurait dû être plus important qu'on ne l'imagine.

c) Pour mieux comprendre comment on est arrivé à ce résultat de 55%, il peut être intéressant d'analyser quelque peu le fichier Excel.

On remarque d'abord que même avec une très faible empreinte (colonne E), un pays qui a très fortement augmenté sa population (colonne D, et c'est en milliers) finit par avoir une empreinte liée à sa croissance démographique conséquente (F, en milliers d'ha donc).

Alpha

bangladesh

nigeria

Cela reste inférieur à l'impact de la croissance de la population française, mais au final on est néanmoins dans un ordre de grandeur équivalent.

france

On peut citer le cas intermédiaire d'un pays qui a une très forte augmentation de sa population couplée à une empreinte non négligeable et qui représente 2 fois le croît français.

brsil

On peut s'arrêter aussi au cas délirant du Qatar dont la population un plus que centuplé et dont l'empreinte individuelle est hors norme.

Qatar 

Voyons ensuite le cas de la Chine qui, avec une énorme augmentation de sa population (près de 900 millions d'âmes) conjuguée à une empreinte moyenne (2,7) se hisse en haut du podium avec près de 2,4 milliards d'ha et donc 32,1% des émissions actuelles liées à l'augmentation de la population mondiale depuis 1950 (2,4 / 7,5).

chine

Les États-Unis conjuguent deux lourds fardeaux : une forte augmentation de la population et une forte empreinte, et sont ainsi deuxième en pourcentage (13,6%). On se rend compte au passage qu'une importante augmentation de population dans un pays très développé a un impact environnemental sévère.

usa

Enfin, l'Inde avec une empreinte somme toute raisonnable de 0,7 ha finit néanmoins en 3ème position (9,3% du total) du fait de son milliard d'habitants supplémentaires. Le cas de l'Inde met clairement en évidence la puissance du facteur démographique.

inde

On peut d'ailleurs remarquer qu'à eux-seuls, ces trois derniers pays (Chine, USA et Inde) représentent 55% des émissions liées à l’augmentation de la population, ce 55% n'ayant rien à voir avec le précédent (4).

Attention, on rappelle qu'on ne compare pas ici les empreintes globales des pays mais juste les empreintes induites par l’augmentation de la population depuis 1950 !

d) Au bout du compte, quand on s'intéresse à la planète dans son ensemble, le total des empreintes des pays permet de revenir aux émissions, car il y a compensation de toutes les additions et soustractions des émissions qui ont servi pour élaborer les empreintes de chaque pays.

e) Remarquons enfin que si la population supplémentaire par rapport à 1950 (5,5 milliards) représente 70% du total de la population actuelle (8 milliards), le pourcentage des émissions dues aux "nouveaux venus" ne représente que 55% du total des émisions actuelles. L'explication vient du fait que les pays qui ont le plus augmenté leur population sont, pour un certain nombre d'entre eux, en dessous de la moyenne des émissions mondiales, hormis la Chine comme on l’a vu et d’autres, dont les monarchies du Golfe. Ajoutons qu'un impact de la démographie aussi significatif n'était pas du tout attendu au lancement de cette étude. Si la démographie avait joué le rôle mineur que certains lui prêtent, on aurait dû aboutir à 10 ou 20%.

 

Pourcentage des émissions de CO2 dues

à l’augmentation de la population de 1950

à 2022 par rapport aux émissions actuelles

7,5 / 13,5

 

Pourcentage de l'augmentation

de la population de 1950 à 2022

par rapport à la population actuelle

5,5 / 8


Camembert Dmographie
Camembert population

 

En conclusion, contrairement à ce que l’on entend, les émissions de CO2 d'aujoud'hui (sur une année comme 2022) sont bien dues en partie à la croissance démographique mondiale passée et pas seulement à la surconsommation actuelle des pays occidentaux. Et encore, on ne s'est intéressé ici qu'aux émissions carbone actuelles et on n'a évidemment pas pris en compte les émissions passées et cumulées au fil du temps par ce nombre sans cesse croissant de "nouveaux" terriens.

Ceci étant, ce regard dans le rétro-viseur, cet historique des responsabilités, ne remet absolument pas en cause les efforts nécessaires d'atténuation des émissions pour arriver le plus vite possible à la neutralité carbone. Par ailleurs, si cette étude ne permet pas d'évaluer les conséquences de la poursuite de la croissance démographique en termes d'émissions futures, on ne peut néanmoins s'en inquiéter. Espérons enfin qu'elle interpellera ceux qui, depuis des décennies, minimisent l'impact de la démographie sur la dégradation de la planète. 

 

Denis Garnier, président de Démographie Responsable

Octobre 2022

 

(1) L'empreinte carbone est une des composantes de l'empreinte écologique et dans les pays développés elle peut même en représenter plus de la moitié. C'est d'ailleurs le cas de la France dont l'empreinte écologique est de 4,4 hectares et l'empreinte carbone est de 2,5 ha.

(2) Détail technique, les empreintes carbone apparaissent dans le fichier ci-dessous avec une seule décimale, mais dans la réalité il y a d'autres chiffres derrière, ce qui peut expliquer que dans certains cas on obtiendra pas forcément tout-à-fait le même résultat en refaisant les calculs à partir de la copie du tableau Excel.

(3) Comme par exemple sur ce site officiel où il y en a une dizaine.

(4) Hasard des calculs, les trois pays en question (Chine, Etats-Unis et Inde) représentent 55% des émissions liées à l’augmentation de la population, et les émissions liées à l’augmentation de la population représentent elles-mêmes 55% des émissions totales actuelles.