Afrique : au grand tournant démographique

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L'article sur le site de l'IRD

Les pays d’Afrique de l’Ouest pourraient bénéficier, dans les décennies à venir, d’une « fenêtre d’opportunité démographique » pour réduire leur pauvreté. L’arrivée sur le marché du travail de 160 millions de jeunes entre 2010 et 2030 peut accélérer la croissance économique. Mais ces pays profiteront de ce « dividende démographique », comme l’ont fait depuis 40 ans les pays aujourd’hui émergents, à condition de baisser leurs taux de fécondité, ce qui permettra de réduire le nombre d’inactifs à charge par actif. Avec plus de cinq enfants par femme en moyenne, ces taux restent les plus élevés au monde. Un chercheur de l’IRD l’affirme dans la synthèse que vient de publier l’Agence française de développement (AFD), portant sur une vaste étude1 réalisée dans 12 pays ouest-africains2 : planification familiale et promotion de la contraception sont parmi les principaux leviers d’une croissance économique durable. Mais pour ce faire, ces pays doivent affecter à cette politique des moyens 3 à 5 fois plus importants qu’aujourd’hui. Sauront-ils négocier ce tournant démographique décisif ?
Plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest - comme le Burkina Faso, le Mali, le Ghana - ont renoué avec la croissance économique depuis le milieu des années 1990, avec des taux de 4 à 6 % par an. Mais avec la forte démographie, cette progression reste insuffisante pour satisfaire les besoins en santé et en éducation des populations, réduire l’insécurité alimentaire et nutritionnelle et diminuer la pauvreté, qui touche encore entre un et deux tiers de leurs habitants.

La baisse de la fécondité, un levier économique
Les pays ouest-africains ne pourront émerger économiquement que s’ils saisissent une « fenêtre d’opportunité démographique » en réduisant leur fécondité, comme l’ont fait dès les années 1970 les pays qualifiés aujourd’hui d’émergents. C’est ce qu’affirme un chercheur de l’IRD dans la synthèse que vient de publier l’Agence française de développement (AFD), portant sur une étude de grande envergure dans 12 pays de la région (2).
Avec la forte croissance démographique*, on doit s’attendre dans les 20 ans à venir à d’importantes augmentations de la population active. L’arrivée sur les marchés du travail ouest-africains de très nombreux jeunes – passant de 6 millions par an en 2010 à près de 10 millions par an en 2030 peut s’avérer désastreuse si la croissance et les emplois ne sont pas au rendez-vous. Mais, elle peut devenir un avantage si, grâce à la baisse de la fécondité, le nombre de personnes à charge (enfants et personnes âgées) par actif (15-64 ans) est réduit. Avec la baisse de ce ratio, aussi appelé « taux de dépendance », les actifs pourront diminuer leurs dépenses en faveur essentiellement des enfants et consacrer une part plus importante de leurs revenus à l’épargne et aux investissements productifs. Ce faisant, ils contribueront à stimuler la croissance économique.

Accélérer la transition démographique : une urgence
Réduire la fécondité pour accélérer la transition démographique et diminuer ainsi les taux de dépendance est donc un processus essentiel pour une croissance économique durable. De fait, entre 1970 et 2000, la plupart des régions en développement, comme l’Asie de l’Est et du Sud-est, où les transitions démographiques ont été rapides, ont bénéficié de ce « dividende démographique ». La plupart mais pas l’Afrique subsaharienne, justement parce que les taux de natalité y sont restés très élevés. Ils demeurent les plus élevés au monde, avec une moyenne de plus de cinq enfants par femme. Par conséquent, en Afrique de l’Ouest aujourd’hui, le ratio est toujours d’un inactif pour un actif, soit un taux de dépendance de 100 %. Mais avec des moyens 3 à 5 fois plus importants que ceux octroyés actuellement à la planification familiale, les pays de la région pourraient diviser par deux ce rapport d’ici 20 ans, pour atteindre des niveaux de dépendance proches de ceux observés aujourd’hui dans les pays émergents.

Des priorités dictées par l’urgence
Jusqu’à présent, les moyens financiers et humains attribués à la maîtrise de la démographie ont fait défaut en Afrique du fait de la faiblesse de l’engagement politique et, du manque de données et de recherche dans ce domaine. De fait, face à des problèmes de santé publique majeurs, les politiques, plans, programmes et stratégies mis en œuvre au cours des 20 dernières années ont dû privilégier la prévention et les soins aux malades du VIH/Sida ainsi que la prise en charge des grossesses, des accouchements et des urgences obstétricales et néonatales. Parallèlement à ces interventions, l’accès à des services de planification familiale et de la promotion de l’utilisation de la contraception n’ont pas été suffisamment encouragés. Aujourd’hui, seules 10 % à 20 % des femmes africaines en union ont recours à une contraception. Pourtant, il existe une forte demande en planification familiale : entre 30 % et 60 % de ces femmes souhaiteraient y avoir accès. Le développement ne se résume pas seulement à la maîtrise de la natalité, mais l’accélération de la transition démographique grâce à l’augmentation de l’utilisation de la contraception – qui répond à des besoins exprimés par les femmes – constitue l’un des leviers majeurs qui permettrait à l’Afrique de l’Ouest de relever les défis socioéconomiques auxquels elle est et sera confrontée. Rappelons que près de la moitié de la forte croissance économique observée en Asie de l’Est et du Sud-est entre 1970 et 2000 est imputable aux changements démographiques induits par les gouvernements. A l’instar de ces derniers, les pays ouest-africains doivent multiplier au cours des 10 ans à venir les moyens affectés à la planification familiale pour stabiliser le nombre des naissances d’ici 2030 et espérer bénéficier du dividende démographique. Sauront-ils à leur tour négocier ce grand tournant ?