Une réponse à Nicolas Hulot sur la démographie


La démographie reste un sujet sensible. Elle est à l’origine de débats vifs et de réactions si épidermiques et si brutales que parfois, tout dialogue devient impossible. Pour certains, le tabou est absolu : la question des effectifs de l’humanité est au mieux vide de sens, au pire interdite. Protéger la nature : certes ! Mais pas au point de mettre en cause notre nombre.

Lors d’une conférence téléphonique le 15 décembre dernier j’ai pu évoquer cette question avec Nicolas Hulot et lui ai rappelé combien Démographie Responsable la considérait comme fondamentale.

La réponse de Nicolas Hulot est intéressante parce qu’elle est mesurée, parce qu’elle ouvre la porte au dialogue et aussi parce qu’on la trouve en filigrane chez d’autres auteurs et chez certains écologistes. Il est donc d’autant plus nécessaire de présenter ici ce sur quoi portent nos désaccords et quelle est exactement notre position face à un point de vue assez représentatif et que sa modération même rend séduisant.

Nicolas Hulot admet l’existence du problème et ne met pas d’interdit sur la discussion. Toutefois, il ne place pas une action sur la démographie au tout premier rang des urgences écologiques et préfère insister d’abord sur les nécessaires modifications de notre mode de vie et sur la régulation de notre consommation (nécessité dont, bien entendu, Démographie Responsable est également parfaitement consciente).

Nicolas Hulot avance plusieurs arguments pour justifier cette position :

- Le droit fondamental de chacun à se reproduire.

- La stabilisation annoncée des effectifs de l’humanité au cours de ce siècle.

- La priorité à donner au développement économique qui constitue à la fois un élément d’efficacité (à cause de la corrélation constatée entre développement et baisse de la natalité) et de justice sociale.


Puisque le dialogue s’est instauré, voici donc les réponses que notre association peut apporter aux positions défendues par M. Nicolas Hulot.

Le droit à se reproduire
Ce droit à se reproduire est en effet fondamental et il faut rappeler encore une fois qu’en aucun cas Démographie Responsable ne se fait le chantre de mesures autoritaires en la matière.

Avoir des enfants est un droit. Cependant, que tous les hommes aient une descendance nombreuse est devenu une impossibilité physique dans le monde d’aujourd’hui, impossibilité vis à vis du respect de la nature, impossibilité vis à vis de notre propre avenir. Ce droit à une descendance sans limite est en réalité lourd de menaces pour les libertés mêmes qui sont invoquées pour le défendre.

Plus une population est dense, plus elle nécessite et plus elle génère de règles et d’interdictions. C’est bien dans un monde surpeuplé que les libertés seront le plus menacées. Et parmi ces libertés menacées, celle de se reproduire sera in fine particulièrement touchée.

L’histoire a déjà montré cet enchaînement funeste qui se retourne contre la liberté de procréer. L’exemple le plus emblématique est bien entendu le cas chinois. La Chine, qui avec plus de 1,3 milliard d’habitants reste le pays le plus peuplé du monde, a presque réussi à stabiliser la croissance de sa population qui menaçait son équilibre et son avenir. Comment y est-elle parvenue ? Par des mesures contraignantes, notamment de fortes contraintes financières en cas de dépassement du nombre d’enfants autorisés. Si certains se réjouissent du succès, d’autres (ou parfois les mêmes) se désolent de l’atteinte à la liberté que représentent ces législations.

Dans les deux cas il faut comprendre que ces mesures sont elles-mêmes le fruit d’un laxisme antérieur. Dans tous les temps précédant la révolution chinoise (1949) et au moins pendant les 20 premières années du maoïsme le natalisme a été de rigueur. Le prix à payer plus tard n’en a été que plus lourd.

Ainsi, si demain, par absence de précautions, nous laissons l’humanité atteindre 9, 12 ou 15 milliards d’habitants nous préparons des après-demain aussi douloureux que liberticides. Nous ouvrons la voie à des mesures beaucoup plus contraignantes que celles qui pourraient être prises aujourd’hui (campagnes en faveur de la contraception accompagnées d’une libre mise à disposition des moyens contraceptifs et d’une abrogation des mesures natalistes financières ou fiscales notamment).

L’humanité doit prendre un peu de recul. La naissance de nombreux enfants était une loi naturelle dans un monde où la plupart de ceux-ci perdaient la vie bien avant d’être en âge de se reproduire à leur tour.

La persistance de ce comportement, alors que la quasi-totalité des enfants survivent, n’est plus possible vis-à-vis de notre planète et sa remise en cause ne relève donc plus d’un choix idéologique. Le changement des comportements doit accompagner l’évolution des conditions de vie.

C’est une chose merveilleuse que d’éviter la mort à tant d’enfants mais elle a un prix qu’il est sage et nécessaire d’accepter : nous ne pouvons plus avoir un nombre illimité d’enfants.

L’alternative est la suivante : Ou nous le décidons et organisons nous-mêmes cette décroissance de la natalité, ou les contraintes naturelles, qui n’auront aucune raison d’être douces (et elles ne le seront pas) nous l’imposeront.

Ceux qui évoquent la liberté totale pour la reproduction doivent donc être conscients du poids qu’ils feront peser sur les libertés de demain.

La liberté est un équilibre, elle n’est en rien une porte ouverte sur un monde sans contraintes. Il se trouve que Nicolas Hulot a lui-même insisté dans ses ouvrages sur ce fait que la liberté ne se définissait pas comme une absence de contraintes.

La fin annoncée de la croissance démographique
Il est exact qu’une majorité de démographes estiment aujourd’hui que la croissance de nos effectifs devrait prendre fin au cours de ce siècle. On évoque le plus souvent une stabilisation de la population planétaire autour de 9 à 10 milliards d’habitants dans le courant de la décennie 2050 - 2060.

Cependant, cette perspective ne peut être considérée comme un argument définitif qui viendrait clore le débat car elle soulève beaucoup de problèmes. Problèmes qui sont liés au niveau de cette stabilisation, aux incertitudes sur sa venue et bien entendu aux causes qui la déterminent.

Tout d’abord : le niveau de cette stabilisation
Avec 7 milliards de représentants, l’humanité a détruit la majorité des espaces naturels, elle a vidé les océans, exterminé l’essentiel de la mégafaune et la quasi-totalité des grands prédateurs (- 97 % de tigres en un siècle !).

Cette explosion démographique au détriment du reste du vivant ne s’est même pas réalisée pour le plus grand bénéfice de notre propre espèce : un milliard d’êtres humains souffrent de malnutrition alors même que l’agriculture qui a fortement bénéficié des énergies fossiles pour accroître sa productivité au siècle dernier va devoir faire face très bientôt à un monde sans pétrole.

Dans ces conditions, peut-on raisonnablement croire que nous ferons mieux avec 9 ou 10 milliards d’hommes qu’avec 7 ? C’est improbable, d’autant qu’une telle croissance s’accompagnera (c’est déjà le cas) d’une urbanisation dévorante et d’un développement des mégalopoles. L’Homme est-il fait pour ce monde-là ? Des ensembles de 10, 20 ou 30 millions d’habitants sans plus aucun contact réel avec la nature, est-ce là le visage d’une société harmonieuse et respectueuse ? Est-ce là une promesse d’équilibre et de stabilité ? Non ! Se satisfaire d’un monde à 9 milliards d’habitants est déjà accepter un mode de vie destructeur et non durable.

En second lieu la plausibilité de cette stabilisation
Cette prochaine stabilisation n’est qu’une hypothèse dont la réalisation n’est en rien garantie. Elle se trouve liée à la poursuite du mouvement de baisse des taux de fécondité, notamment dans les pays émergents et plus encore dans les pays aujourd’hui les moins développés.

Le 15 février dernier, M. Grégoire Allix a publié dans Le Monde un article validant les doutes que l’on pouvait entretenir quant à la stabilisation de la population mondiale.

Malgré l’inertie des mécanismes démographiques qui rend presque certaines les prévisions à 10 ans et très plausibles celles à 20 ans, l’avenir un peu plus lointain n’est pas écrit. Il dépendra notamment de l’évolution des taux de fécondité, évolution que nous ignorons.

La poursuite de la baisse constatée est une hypothèse qui ne peut être tenue pour certaine. Nous ignorons à quels "taux" se reproduiront les hommes dans 30 ou 40 ans. Or ces taux seront déterminants pour le niveau démographique des années 2050-2060 et, bien sûr, pour la fin du siècle. Ajoutons que les incertitudes sont d’autant plus grandes que des difficultés économiques se profilent à l’horizon. Les problèmes alimentaires et énergétiques que l’on voit poindre constitueront d’ailleurs à la fois les causes et les premiers effets de ces troubles économiques.

Bien entendu, il serait possible d’imaginer que les incertitudes jouent en sens contraire et que nous bénéficiions d’une heureuse surprise : une baisse permanente et même généralisée des taux de fécondité.

Nous ne pouvons toutefois pas compter sur cette possibilité pour éviter d’agir. Outre l’incertitude, il y a en effet asymétrie des conséquences. Si l’humanité est un peu moins nombreuse que prévue, alors sa survie n’en sera que mieux assurée alors que si ses effectifs continuent d’exploser, c’est son existence même et celle du reste du vivant qui se trouveront menacées.

Le développement économique comme élément déterminant de la stabilisation démographique
Il s’agit là de l’argument qui nous est le plus souvent opposé pour ne pas faire de la lutte contre la surnatalité une priorité. Même pour ceux qui admettent que la surpopulation constitue une menace, le développement économique apparaît comme l’outil le plus efficace pour la combattre.

L’argument est fort et contient d’ailleurs une part de vérité. Il s’appuie sur la constatation d’une forte corrélation statistique entre le niveau de développement économique et la faiblesse des taux de natalité (ou à l’inverse, entre le sous-développement et la surnatalité).

Bien que corrélation statistique ne soit pas synonyme de causalité, il semble bien que l’accès à une certaine aisance économique favorise le choix par les couples d’une descendance moins nombreuse. Il favorise naturellement la baisse des taux de mortalité infantile (les soins et les conditions de vie dans les pays développés y sont propices). Ainsi, la survie des enfants ne nécessite plus leur naissance en grand nombre pour assurer la descendance des familles.

Ce mécanisme prend toutefois un certain temps, que l’on appelle période de transition démographique, durant laquelle les gens continuent à avoir un grand nombre d’enfants qui, désormais, survivent, ce qui se traduit par une forte croissance démographique et par l’apparition de pyramides des âges démesurément élargies vers le bas, symptôme d’une population jeune. Réduire la durée de cette transition pour que très vite les couples réduisent leur nombre d’enfants est donc un objectif essentiel pour limiter l’explosion démographique et la meilleure façon d’y arriver est selon une majorité de démographes comme d’économistes d’accélérer ce développement.

Si Démographie Responsable émet quelques réserves sur cette méthode et préconise en parallèle la mise en place de vigoureuses campagnes pour la promotion de la contraception (et la mise à disposition des moyens au plus faible coût possible) ce n’est pas pour nier l’évidence de l’efficacité du développement mais pour insister sur son insuffisance.

Cette insuffisance est notable.

D’une part, alors que, malgré la crise, le monde connaît globalement une forte croissance économique (supérieure à 4 % par an) cela n’empêchera en rien l’humanité d’atteindre les 9 milliards. Cette inertie est en partie due à la structure de la pyramide des âges mondiale. La population est jeune et donc va vivre encore longtemps. De plus, cette jeunesse implique que des effectifs nombreux vont arriver à l’âge de la reproduction. Il faut essayer d’agir pour limiter les conséquences de ce dernier phénomène.

D’autre part, le développement économique se trouve menacé par les problèmes écologiques mêmes qu’il génère. En particulier par la dégradation et la raréfaction des sols cultivables ainsi que par la très prochaine déplétion pétrolière et la raréfaction générale des énergies fossiles.

Comment compter sur le développement pour abaisser la natalité si celui-ci se trouve menacé ? Si le développement est la cause, ou au moins la condition nécessaire, de la baisse de la natalité, alors, tout arrêt dans la croissance économique pourrait signer l’arrêt de cette baisse ! Dans un monde en crise générale on peut craindre une (sur)explosion démographique.

Enfin, il faut noter ce qui nous semble une contradiction dans la position de Nicolas Hulot. Celui-ci compte sur le développement économique pour abaisser la natalité alors même que l’ensemble de son combat et de ses ouvrages mettent en avant les catastrophes écologiques dont ce même développement menace la planète. Son livre le " Syndrome du Titanic " (un titre on ne peut plus explicite devant notre aveuglement), explique clairement les choses.

Est-il raisonnable, pour régler un problème, de compter sur un mécanisme dont, par ailleurs, on dénonce les effets ?

Il faut alors, et c’est la position de M. Hulot comme de nombreux écologistes, imaginer un développement de nature différente qui aurait la bonté d’avoir les mêmes heureuses conséquences (baisser la natalité et enrichir les plus pauvres) mais sans avoir les mêmes malheureux effets (la dégradation dramatique de l’environnement).

C’est en partie le pari du fameux développement durable (qui, dans sa définition la plus partagée, ne fait malheureusement pas référence à la natalité).

Développement durable : Ces deux mots renvoient-ils à une réalité possible ou ne forment-ils qu’un oxymore ?

Il nous faut bien retenir la première hypothèse si nous voulons avoir une chance d’agir et de sortir une fraction de l’humanité de la misère.

Cependant, nous ne devons pas être naïfs. Même en faisant attention, le développement des pays les plus pauvres entraînera mécaniquement une hausse de la pollution, des quantités d’énergies fossiles et d’espaces consommés, même si une partie (sauf pour l’espace) de ces surconsommations pourrait se trouver compensée par une réduction des gâchis et des gaspillages dont font preuve les pays les plus riches (en admettant qu’ils le veuillent bien, on entend tous les jours les cris et les protestations que provoque la moindre hausse du prix des carburants).

Il est donc essentiel d’accompagner toute politique de développement d’une politique antinataliste pour limiter ses effets néfastes sur l’environnement.

Nous ne prétendons pas que cela fonctionnera partout et autant que souhaité, ni même que cela ne constituera pas qu’une cause secondaire (par rapport au développement général) de la baisse de la fécondité. Mais il faut le faire en même temps pour réduire autant que faire se peut la durée de la transition démographique durant laquelle les populations explosent.


L’énergie
Un autre élément à long terme devrait rapprocher les écologistes en général et la Fondation pour la Nature et l’Homme de telles prévenances démographiques. C’est la question de l’énergie. Les seules énergies durables sont les énergies renouvelables, or ces modes de production ont une "intensité" moindre que la consommation de pétrole ou la production d’électricité nucléaire (qui pose certains problèmes et n’est certainement pas généralisable à l’ensemble de la planète).

Avec les énergies renouvelables, et même en économisant, il est difficile de faire vivre les immenses concentrations urbaines de notre monde et de répondre aux exigences de transports et de déplacements des sociétés modernes (exigences qu’il faudra de toute façon revoir à la baisse).

Autrement dit, le non renouvelable n’est pas durable et le durable n’est pas adapté aux fortes densités.

Militer pour l’utilisation d’énergies renouvelables sous-entend d’accepter de plus faibles densités de population. C’est d’ailleurs ainsi, en comptant sur des énergies renouvelables et avec des effectifs bien moindres que l’humanité a vécu l’essentiel de son histoire. L’énergie éolienne a transporté les hommes sur toutes les mers du monde et moulu le grain bien avant d’être considérée comme le fin du fin de la modernité (même si aujourd’hui les éoliennes font débat).


De l’espace pour les animaux, de l’espace pour les forêts
Les animaux, mais aussi la flore, ont besoin d’espace. D’ailleurs, Nicolas Hulot l’a reconnu au cours de notre entretien : « vous avez raison » a-t-il répondu à ma remarque sur ce sujet.

Il n’existe pas d’alternative. On ne fera jamais vivre la grande faune, et en particulier les prédateurs, au milieu de la population. Notre présence en nombre interdit de facto celle des grands animaux

Même tous frugaux, même tous respectueux de l’environnement, nous ne saurons concilier nos effectifs actuels et plus encore ceux que l’on envisage pour demain, avec l’existence d’une véritable faune sauvage.

Rappelons que les États-Unis et le Canada qui sont pourtant parmi les pays les plus montrés du doigt par les écologistes sont les seules nations occidentales développées à héberger une " mégafaune " encore digne de ce nom. Pourquoi aux États-Unis et au Canada plutôt qu’en Europe de l’Ouest au style de vie comparable ?

Pour une raison incontournable : la densité démographique. Les États- Unis ont 33 habitants au kilomètre carré, le Canada 3,4 tandis que la plupart des pays européens en abritent entre 100 et 350 (400 même pour les Pays Bas !). Dans les deux nations Nord-Américaines se trouve encore de la place pour des espaces vierges et donc pour la faune et la flore. Ce n’est plus le cas en Europe et bientôt, cela ne le sera plus dans nombre de pays en voie de développement.

Ce raisonnement remet en cause l’universalité de certains calculs basés sur une "empreinte écologique" qui ne prendrait en compte que les émissions de CO2 ou d’autres "polluants" et selon laquelle un américain "vaut" (c’est à dire pollue ou impacte sur la planète) comme 20, 30 ou 50 habitants de telle ou telle nation moins favorisée.

Les choses ne sont pas si simples et il est bien hasardeux de résumer l’impact d’un être humain à un seul chiffre.

Ajoutons d’ailleurs que les modifications climatiques qui accaparent aujourd’hui l’essentiel des débats (et par là des éléments des calculs d’impact individuel) pourraient avoir des effets limités à quelques siècles alors que la disparition des espèces liée à nos effectifs aura des conséquences sur des millions d’années. Combien faudra-il de temps à la nature pour "réinventer" un tigre ou son équivalent ?

Ce débat sur les animaux correspond à une réalité bien matérielle mais il a aussi un sens moral. Une humanité qui se moquerait du sort qu’elle réserve aux autres espèces ne serait tout simplement pas digne des efforts consentis pour la préserver et pour lui assurer un avenir supportable. C’est là aussi le sens profond d’un combat pour une démographie plus modeste et plus responsable.
Didier Barthès, secrétaire de Démographie Responsable