Haïti : Des projections démographiques inquiétantes
Article de Claude Bernard Sérant paru le 3/11/2011 sur le site haïtien lenouvelliste.com
Nous serons bientôt 20 millions d'habitants sur les 27.750 km². Plus le pays s'appauvrit, plus la population croît. Après le 12 janvier [Ndlr : 12 janvier 2010 date du tremblement de terre], on assiste au phénomène du baby boom. La secrétairerie d'État à la Population se remet en selle après un long temps d'absence.

« Les projections démographiques sont pratiquement catastrophiques quand on sait qu'avec un taux de croissance actuelle de 2,4/2,5, on aura entre 2040 et 2050 une population estimée à 20 millions d'habitants et ceci pour la même superficie, pour des biens et des services qui n'augmentent pas. D'où l'importance de l'intervention de la secrétairerie d'État à la Population pour faire l'adéquation entre les biens et les services disponibles et la population », a déclaré le Dr Carl Murat Cantave, le jeudi 3 novembre 2011, lors de son installation à la tête de la secrétairerie d'État à la Population, une structure intégrée au Ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP).

« Aucune politique économique sérieuse ne peut ignorer la population. Plusieurs facteurs, plusieurs causes et considérations ont contribué à faire de ce concept un élément important », a poursuivi le Dr Cantave, placé à la tête d'une structure qui attend l'élaboration d'un cadre légal définissant de manière claire sa mission.

« Aucune planification politique, économique, sociale, environnementale, culturelle ne peut se faire sans tenir compte de la fiche populationnelle, sans se référer à la variable démographique. En 1950, la population haïtienne était de l'ordre de trois millions ; en 1981, elle est passée à 5,1 millions, presque le double de la population. Actuellement, nous avons une population de 10 200 000 habitants par rapport à la référence de 1981.»

Au regard de ce changement tant annoncé par le gouvernement, le nouveau titulaire de ce poste a ajouté : « Le MSPP ne peut plus continuer à s'accommoder de ces vieilles pratiques au préjudice d'une population qui n'en a que trop de la précarité de sa situation sanitaire.»

S'engageant à être stratège et opérateur à la fois, il s'est adressé en ces termes aux partenaires du ministère : « Agence, ONG, secteurs public et privé, nous attendons votre collaboration, mais personne ne vous obligera à marquer le temps du changement qui s'impose. C'est le moment du changement lui-même qui s'imposera à vous aujourd'hui et qui vous dictera la marche à suivre. »
Le temps de la rupture

Avec la même verve, il a annoncé le temps de la rupture qui ne doit pas décevoir cette fois-ci. Aux partenaires du ministère, il a martelé : « Vous devez tous vous y accommoder; vous devez tous vous plier à ces injonctions. Le seul prix à payer est l'abdication de tout leadership au profit de celui du ministère qui, cette fois-ci doit s'assumer à travers les grandes fonctions de planification, d'organisation, de direction et de contrôle du secteur.»

S'attaquant à l'institution qui est l'ancrage légal de la secrétairerie, il n'a pas caché ses opinions : « Il est inconcevable que les soins continuent à être dispensés dans des conditions aussi précaires chez nous. Le constat est effarant : nous n'avons pas d'hôpitaux dans ce pays, nous n'avons que des pis-aller, des maisons de soins. » Aussi en appelle-t-il aux autorités à s'accrocher à la modernité dans ce monde qui bouge. Ce cadre, qui a une carrière de vingt et un an au ministère et qui a roulé sa bosse comme médecin de commune à Gros-Morne et qui est devenu directeur de santé à Raboteau, et qui, dans la même période, est devenu président de la Croix-Rouge haïtienne, a souhaité dans les temps à venir, « la construction de vrais centres de santé avec des standards internationaux.»

Ce que le gouvernement attend de voir

Pour sa part, la ministre de la Santé, le Dr Florence D. Guillaume, en installant cet ancien directeur du département sanitaire de l'Artibonite, a déclaré : « Pour le gouvernement, le succès de la lutte contre la pauvreté et des Objectifs de développement du millénaire (ODM) passe par la mise en œuvre d'une politique nationale de population, notamment par un renforcement de la planification familiale en agissant aussi sur la jeunesse, qui représente un groupe d'une extrême importance stratégique, pour rompre le pont intergénérationnel de la pauvreté. Voilà en des termes clairs et précis, Monsieur le secrétaire d'État, ce que le gouvernement attend de voir résulter de votre prise de fonction. »

Avancer dans la transition démographique, a fait remarquer la ministre, est un véritable défi qui passe par l'impulsion d'un développement social au bénéfice des couches les plus défavorisées et au bénéfice des jeunes en leur offrant des opportunités. Aussi a-t-elle mentionné : « Trois faits justifient cette conclusion : le nombre moyen d'enfants par femme diminue avec leur niveau de revenu, c'est-à-dire que les femmes les plus pauvres ont tendance à avoir plus d'enfants ; seulement 24,8% des femmes en union dans le pays utilisent une méthode contraceptive moderne, et enfin, la planification des naissances est positivement corrélée avec le niveau d'études. »

A ce stade, quand le Dr Guillaume considère que cette « population, estimée à environ 10 200 000 habitants avec 76% de la population vit avec moins de deux dollars américains par personne/par jour dont 56% avec mois de un dollar américain par jour, il y a vraiment lieu de comprendre la nécessité de la redynamisation de la secrétairerie d'État à la Population.»
Lire aussi l'article paru le 6/11 sur le site HaïtiLibre.com : « Haïti - Social : Des projections démographiques inquiétantes », titre que nous nous sommes d'ailleurs permis de reprendre.
Pour aller plus loin :
L'UNFPA-Haïti a publié un excellent petit document avec, entre autres, 2 graphiques qui permettent de se rendre compte de la relation "natalité-instruction des femmes" & "natalité-revenu" et un 3ème montrant l'écart entre le nombre d'enfants réels et ceux qui sont vraiment désirés (et qui montre en quelque sorte la marge d'action à court terme).